Être créatif et le rester !

Tous les artistes, y compris les photographes, traversent des périodes de disette, comme l’écrivain qui se fige devant sa page blanche. Les symptômes d’un blocage créatif sont évidents: les idées de nouvelles images ou de nouveaux projets s’évanouissent. Je prends des photos de choses qui ne m’intéressent pas vraiment. Je me surprends à photographier les mêmes personnes, lieux et choses, de la même manière, sans innover, sans me réinventer. Comprendre les mécanismes à l’œuvre en chaque cerveau peut aider le photographe à redonner vie à sa créativité.

Les quatre phases du processus créatif

L’une des premières modélisation du processus créatif a été introduite par le psychologue Graham Wallas en 1926 dans son ouvrage The Art of Thought. Wallas pensait qu’il y avait quatre phases impliquées: la préparation, l’incubation, l’illumination et la vérification. Passons en revue ces phases en termes photographiques.

Préparation

Dans notre cas, la préparation ne signifie pas recharger les batteries de votre appareil ou nettoyer vos objectifs. C’est le moment où un « problème » est posé pour la première fois et/ou où un objectif est défini pour la première fois. Formulons ces objectifs sous forme de questions. Il peut s’agir d’une idée très générale, telle que « Comment puis-je prendre des photos de paysages plus originales ? ». Cela peut aussi être très spécifique, par exemple: « Que dois-je faire pour prendre une photographie vraiment différente de tel monument ? ». Il est important que nous passions une partie de notre temps « non photographique » à réfléchir à nos objectifs, qu’ils soient purement commerciaux, purement artistiques ou entre les deux.

Incubation

L’incubation, selon les psychologues, est l’une des phases les plus intéressantes. C’est en grande partie une période de réflexion inconsciente sur la façon d’obtenir cette photo différente, ou ces nouveaux paysages. Vous ne savez peut-être même pas que votre cerveau travaille sur le problème, et parfois, il est facile de confondre incubation et blocage créatif. L’important est de reconnaître que la véritable inspiration ne vient pas sans un examen sérieux du problème en question et sans être prêt à se donner du temps.

Il est également important de « nourrir » votre cerveau pendant cette phase. Regardez des photographies ou des peintures de paysages. Découvrez comment d’autres photographes ont travaillé. C’est essentiel. Pour devenir un bon photographe, il faut absolument se plonger corps et âme dans le travail des autres. Regardez les photographies existantes des sujets que vous souhaitez photographier. Armez votre cerveau avec autant d’informations que possible afin qu’il puisse trouver la solution la meilleure et la plus éclairée. Parce qu’une solution viendra tôt ou tard s’imposer à vous.

Illumination

L’illumination, une idée inattendue éclot hors contexte. Eurêka ! C’est l’instant où vous avez une idée claire dans votre tête de ce à quoi vous voulez que vos paysages ressemblent, ou comment vous allez exactement prendre une photo unique de tel ou tel sujet. Cela peut arriver quand vous vous y attendez le moins, lorsque vous êtes sous la douche ou pendant que vous cuisinez. C’est le résultat de beaucoup de travail de la part de votre génial cerveau. C’est par un certain lâcher-prise et une distanciation que de nouveaux circuits s’activent. Le défi est de ne pas attendre une réponse trop rapidement et de laisser un espace de réceptivité dans lequel les pensées et les sensations peuvent vagabonder sans pression.

Vérification

La phase finale est celle où l’idée est vérifiée puis appliquée. Parce que les moments d’inspiration vont et viennent, et sont vite oubliés, gardez toujours un petit carnet avec vous pour consigner vos idées. Par exemple, « Photographier Hannah derrière un morceau de verre et en noir et blanc » ou « Photographier des paysages depuis un véhicule en mouvement avec des vitesses d’obturation lentes. » Cela peut sembler parfois totalement décalé, mais c’est ce type d’idées un peu folles qui vous traverse l’esprit lorsque vous avez passé beaucoup de temps à essayer de résoudre un problème.

La créativité, comme la photographie elle-même, est un processus, avec ses propres lois théoriques. Comprendre que le cerveau, comme un ordinateur, a parfois besoin de temps pour sortir du marasme créatif est une étape importante pour éviter de rester trop longtemps dans ces périodes improductives. Le blocage créatif, pour tout artiste, n’est pas permanent, et encore moins irréversible.

Comment rester créatif ?

Photographiez simplement

Le pire ennemi de l’action est souvent la pensée. Lorsque l’on fait de la photographie de rue, ou lorsque l’on est en reportage ou en séance de prise de vues en studio, nous sommes parfois « timides ». On ne voit rien de neuf ou rien de particulièrement intéressant. La première chose à faire, et souvent la plus simple, consiste alors à photographier comme on le fait habituellement sans chercher à innover. Le but ici n’est pas de prendre de superbes photos. Il s’agit de lancer la machine de l’esprit, de l’œil et du cœur afin qu’un bon travail puisse progressivement apparaître. C’est un peu comme démarrer une voiture par un froid matin d’hiver et attendre qu’elle se réchauffe. Vous n’allez peut-être nulle part, mais à moins de tourner la clé – ou pour ce qui nous concerne – d’appuyer sur le déclencheur – vous allez rester immobile pendant longtemps.

Photographiez donc ce que vous voyez et n’y pensez pas, même s’il ne s’agit que de quelques images. De meilleures photographies vont suivre inévitablement, parfois en seulement quelques minutes.

Aventurez-vous dans un nouveau territoire stylistique

Si vous êtes un photographe de portrait, sortez et faites des paysages. Votre espace de travail habituel est votre studio ? Dirigez-vous vers le centre-ville, prenez l’air et faites de la photographie de rue. Vous faites beaucoup de travail documentaire, des reportages ? Mettez cette activité de côté pendant une journée ou une semaine et photographiez des natures mortes ou des nu(e)s. Il ne s’agit pas ici de changements permanents. Voyager dans un territoire inconnu permet de prendre du recul sur le travail que nous faisons habituellement. Cela nous offre de nouvelles perspectives, de nouvelles idées et de nouveaux défis. En permettant au cerveau de fonctionner, de résoudre des problèmes, vous découvrez de nouvelles approches lorsque vous revenez à vos sujets de prédilections et à votre style habituel.

Par exemple, si vous réalisez beaucoup de portraits sur le vif, à la volée ou légèrement posés et que vous passez quelques heures à photographier des natures mortes et des paysages, vous allez modifier votre perception habituelle de la composition photographique. Vous allez enrichir votre travail de portraitiste de nouvelles connaissances et vous allez certainement améliorer votre pratique.

Faites des exercices créatifs sous forme de challenges

Rendez-vous au musée des Beaux-Arts, dans la rue ou dans le parc le plus proche et prenez 100 photos numériques ou un film de 36 poses en 30 minutes. Ne photographiez pas deux fois la même chose et ne supprimez pas les photos qui vous semblent mauvaises si vous travaillez avec un appareil photo numérique. Cela revient à pratiquer l’équivalent de l’écriture libre. Il s’agit de travailler sans sur-analyser ce que vous faites. Essayez de prendre de bonnes photos. Mais ne vous attendez pas à des chefs-d’œuvre, ce n’est pas l’objectif. Si vous pratiquez suffisamment ce genre d’exercice, appuyer sur le déclencheur deviendra aussi automatique que marcher ou respirer.

« Cela fait partie du travail du photographe de voir plus intensément que la plupart des gens. Il doit avoir et garder en lui quelque chose de la réceptivité de l’enfant qui regarde le monde pour la première fois ou du voyageur qui pénètre dans un pays étrange. » Bill Brandt

Vous pouvez aussi prendre 100 photos de la même chose, un arbre, une fleur, un modèle, une moto, un chat ou tout autre sujet qui attire votre attention. Explorez-le sous toutes ses faces avec votre appareil photo et vos yeux. Essayez de trouver mille façons différentes de photographier ce sujet : surexposé, sous-exposé, avec une mise au point nette, flou, en plongée, en contre plongée… L’idée est de se rappeler qu’il existe un million de façons de regarder l’objet le plus banal. Lorsque vous revenez aux choses que vous aimez vraiment photographier, vous le ferez probablement avec un esprit plus ouvert et un regard neuf.

Photographiez léger

Moins d’instruments, plus d’idées, parce que le matériel ne fait jamais une bonne photo même s’il y contribue. Commencez par réduire l’équipement que vous allez emporter. Travaillez pendant une semaine avec un appareil numérique simple et un seul objectif (un 50mm par exemple). Laissez votre gros téléobjectif sur l’étagère et contentez-vous d’une courte focale, pourquoi pas un 28mm ? Forcez-vous à aborder la photographie de manière nouvelle, faites des gros plans avec un fish-eye, des paysages au téléobjectif, du portrait en macro… Vous apprendrez de nouvelles choses sur votre propre regard et sur la photographie en général.

« La culture pour un photographe est bien plus importante que la technique. » Gisèle Freud

Étudiez les maîtres

Ansel Adams et Robert Doisneau sont des incontournables. Mais il y a beaucoup d’autres photographes moins célèbres à découvrir. Faites des recherches sur celles et ceux dont vous n’avez pas vu le travail, dont vous n’avez jamais entendu parler. Vous devez observer, étudier mais pas imiter. Utilisez leurs travaux comme source d’inspiration, pas comme modèle au risque de vous conformer. Vous apprenez quelque chose à chaque fois que vous voyez une image. Parcourez les sites internet des grands photographes, des concours internationaux, des banques d’images, des amateurs…

Ne vous contentez pas non plus de regarder des photographies. Découvrez la peinture, la gravure et d’autres formes d’expression bidimensionnelles, des grottes de Lascaux, à la Renaissance, au baroque, à l’impressionnisme, au cubisme, à l’expressionnisme abstrait, au conceptualisme… L’objectif est de développer votre culture de l’image, d’augmenter votre vocabulaire visuel, et par conséquent d’améliorer votre travail. Acceptez aussi de ne pas tout savoir et de ne pas tout comprendre. Restez humble, posez vous des questions et restez à l’écoute des critiques constructives et bienveillantes. Pour être créatif, il faut avoir l’esprit grand ouvert.

Changez vos habitudes

Au moins pendant un moment, passez à autre chose. Changez de sujet, changez d’objectif, changez d’appareil, changez de modèle, changez de studio, changez de la couleur et passez au noir et blanc, ou l’inverse. Sortez dans la rue ou rentrez chez vous, couvrez les corps nus ou déshabillez vos modèles. Prenez de la hauteur ou allongez-vous sur le sol, ajoutez des éclairages ou profitez des dernières lueurs du jour… N’ayez peur ni du changement, ni de l’inconnu. Laissez-vous guider par vos sensations, vos émotions, vos idées et celles des autres. Bref, prenez du plaisir à photographier  et soyez créatif !