Margaret Bourke-White, photographe de LIFE

Photographe américaine et figure majeure du photojournalisme, Margaret Bourke-White, née dans le Bronx le 14 juin 1904, est une pionnière et toujours la « première ». Elle est la première photographe étrangère à être autorisée à photographier l’industrie soviétique, la première femme correspondant de guerre de l’armée américaine, la première femme photographe embarquée dans un bombardier, la première femme photographe en URSS au début de l’invasion allemande, la première femme photographe pour LIFE où l’une de ses photographies fait la une dès le premier numéro…

Extrait – Margaret Bourke-White – LIFE – 1er mars 1943
Extrait – Margaret Bourke-White – LIFE – 1er mars 1943

Souvent décrite comme « agressive » et « implacable » dans sa quête de photographies, on la découvrira perchée sur le Chrysler Building (elle y installe son studio en 1930 au 63ème étage), et on se souvient d’elle comme d’une ardente avocate des mouvements sociaux à travers le monde. Son œuvre s’enrichit alors d’une dimension profondément humaine, sociale et politique, révélant chez elle autant de compassion que d’humanité.

De la zoologie à la photographie

Margaret Bourke-White fréquente la Clarence H. White School of Photography entre 1921 et 1922. Pour le cours, elle a reçu son premier appareil photo, un ICA Reflex 3 ¼ x 4 ¼ pouces d’occasion avec un objectif fissuré, prenant ses premières photographies sur des plaques de verre. Mais elle est entrée à l’Université Columbia en 1921 pour étudier l’herpétologie (branche de l’histoire naturelle qui traite des amphibiens et des reptiles). Bien qu’elle ait continué à étudier la zoologie à l’Université du Michigan, à partir de ce moment-là, elle n’a jamais quitté la chambre noire. En 1927, elle est diplômée de l’Université Cornell en biologie, mais elle a passé la plupart de son temps à s’établir en tant que photographe professionnelle.

Elle décide de faire carrière dans la photographie et ouvre un studio à Cleveland. Elle attire très tôt l’attention pour ses photographies uniques de l’univers industriel. Pour une femme photographe, ces images n’étaient pas faciles à capturer. Autoriser une femme à entrer dans une aciérie à la fin des années 1920 est rarissime pour ne pas dire unique, du moins jusqu’à l’arrivée de Margaret Bourke-White. Elle s’approche si près du métal en fusion qu’elle se brûle le visage et que l’enveloppe de son appareil photo commence à se boursoufler.

Les premières séries d’images sont des échecs, mais heureusement, son contrat avec Otis Steel Company lui permet de renouveler l’expérience. A cette époque, le film noir et blanc n’est sensible qu’à la lumière bleue plutôt qu’aux rouges et oranges générés par la chaleur de l’acier. Par conséquent, ses négatifs sortent noirs au développement. Ce n’est que lorsqu’elle parvient à expérimenter des éclairages au magnésium destinés à l’origine à l’industrie cinématographique qu’elle parvient à développer ses photographies avec succès. Ces éclairages au magnésium lui permettent aussi d’obtenir l’effet dramatique qui va devenir sa signature esthétique.

De Time à LIFE

Ces photographies d’aciéries attirent l’attention du magnat des magazines américains Henry Luce. Luce propose à Margaret Bourke-White de collaborer à ses revues et notamment Time. En 1929, elle devient la première photographe officielle pour Fortune Magazine. Le 24 mai 1929, elle adresse un télégramme à sa mère Elisabeth White pour lui signifier son embauche au 1er juillet. Elle est enthousiaste, on lui confie ses premiers reportages, les caves de Champagne en France, les carrières de marbre en Italie et probablement la construction navale en Allemagne.

Elle photographie le Dust Bowl pour Fortune en 1934. Cette série de tempêtes de poussière qui s’est abattue sur les plaines des États-Unis et du Canada entre 1930 et 1940 suite à la surexploitation des terres par des agriculteurs appauvris par la crise de 1929 provoque une catastrophe écologique et agricole. On estime que trois millions de fermiers et leurs familles sont jetés sur les routes, en direction de l’ouest, pour fuir la misère sur des terres devenues hostiles et improductives. Ce projet conduit à la publication de You Have Seen their Faces en 1937, qui a documenté les aspects humains de la grande dépression. A cette occasion est présenté un texte d’Erskine Caldwell, le romancier américain, auteur de Le Petit Arpent du Bon Dieu (God’s Little Acre) en 1933. Margaret Bourke-White épouse Erskine Caldwell et partage sa vie de 1939 à 1942.

Margaret Bourke-White couvre en 1954 pour LIFE un nouvel épisode de Dust Bowl et le reportage est publié dans le magazine le 3 mai 1954 sous le titre « Dusty plague upon the land » (le sujet a été réédité et présenté sur le site de LIFE).

Margaret Bourke-White – LIFE – 03 mai 1954
Margaret Bourke-White – LIFE – 03 mai 1954

Après avoir collaboré au magazine français Vu, elle devient la première femme photographe pour LIFE Magazine dès sa création en 1936. Sa photographie emblématique du barrage de Fort Peck a été utilisée sur la couverture du premier numéro de LIFE Magazine et accompagnée d’un reportage photo mettant en vedette les ouvriers construisant le barrage à New Deal, Montana. On lui attribue le mérite d’avoir contribué au développement du concept d’essais photographiques qui sont depuis devenus la norme dans l’édition. Elle a également été responsable de la mise en place du premier laboratoire de photographie de LIFE Magazine où elle parvient à imposer l’impression de l’intégralité du négatif sans recadrage, un choix esthétique et journalistique qui deviendra la règle pour le magazine.

Margaret Bourke-White – LIFE – 16 avril 1945
Margaret Bourke-White – LIFE – 16 avril 1945

On dit souvent que Margaret Bourke-White était toujours au bon endroit au bon moment. Il faut dire qu’elle avait le don pour se retrouver dans des situations inimaginables et pour documenter des sujets qui n’avaient souvent jamais été photographiés. Elle s’immerge si profondément dans les zones de guerre et les combats que sa propre vie est souvent mise en danger. Lors d’un voyage en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale, le bateau sur lequel elle se trouvait est torpillé et coule en cours de route.

La photographe de guerre

Elle a été la première photojournaliste de guerre américaine autorisée dans les zones de combat de la Seconde Guerre mondiale. Encore la première photographe officielle de l’armée de l’air et toujours la première photographe étrangère autorisée à prendre des photos en Union soviétique. Un accès sans précédent aux événements politiques depuis son premier voyage en 1930 jusqu’à l’invasion allemande en 1941 où elle se trouve être la seule photographe étrangère pour couvrir l’événement. Créditée d’une photographie montrant un événement rare, Joseph Staline souriant, elle raconte :

Sans me laisser décourager par les difficultés, je m’étais depuis longtemps mise à la tâche. Un jour, je reçus la nouvelle que Staline, cédant aux instances de Molotov, avait consenti à se laisser photographier par moi. C’est ainsi qu’un beau jour, chargée de tout mon attirail, Je franchis le portail imposant du Kremlin. J’avais le trac. J’avais beau me dire qu’après tout l’homme que j’allais rencontrer n’était que « Oncle Joe« · Lorsque je fus en présence de Staline, je sentis que toute mon assurance s’était évanouie. Lui dire de prendre telle ou telle pose aurait été aussi difficile pour moi que de donner des ordres au colosse de Memnon Pour cacher mon embarras, je commençai à le photographier à tour de bras, tel qu’il était, sans lui demander quoi que ce fût. Bientôt, je fus tellement absorbée par mon travail qu’il me semblait être en présence d’un monsieur Ivan Ivanovitch (le Durand russe) quelconque. J’ai la déplorable habitude de prendre pour assistant n’importe quelle personne qui se trouve à moins de deux mètres de moi lorsque je travaille. Cette fois-ci, ce fut le jeune Litvinoff qui eut l’honneur d’être mon collaborateur. Il n’a aucune parenté avec l’ambassadeur aux États-Unis. Il occupe, au Kremlin, les fonctions d’interprète. Sans sourciller, il se prêta de bonne grâce à toutes mes opérations. Il chargea les ampoules à magnésium, s’occupa de tenir les écrans. Au bout de quelques instants, il acquit une telle maestria qu’on aurait dit qu’il avait été photographe pendant toute sa vie. Staline s’amusa beaucoup de voir son subalterne montrer de telles dispositions pour ce métier. Le sourire « d’Oncle Joe » dissipa tout le malaise que j’avais ressenti au début.

Extrait d’un entretien publié dans le magazine en français IMAGES et publié et diffusé au Caire. Numéro 660 du 4 mai 1942.

Elle documente en temps réel des lieux et des événements déchirés par la guerre et photographie plusieurs fronts en Afrique du Nord, en Italie et en Allemagne. Elle suit le général George S. Patton dans l’Allemagne vaincue. Les photographies qu’elle a prises des camps de concentration pendant l’Holocauste, et notamment à Buchenwald, sont si puissantes qu’elles sont publiées dans LIFE Magazine, présentant, au peuple américain, les conditions horribles de la guerre à l’étranger.

Hommage de LIFE à Margaret Bourke-White – 10 septembre 1971
Hommage de LIFE à Margaret Bourke-White – 10 septembre 1971

Autour du monde

Après la Seconde Guerre mondiale en Europe, Margaret Bourke-White couvre la création des nouveaux États de l’Inde et du Pakistan entre 1946 et 1948. Elle continue de capturer les lieux et les personnages les plus emblématiques du monde, depuis Roosevelt, Churchill, Eisenhower à Haile Selassie, puis les débuts de l’apartheid en Afrique du Sud, la guerre de Corée, les membres des gangs emprisonnés aux États-Unis, et réalise quelques clichés de Gandhi à peine quelques heures avant son assassinat.

Margareth Bourke-White couvre les débuts de l’apartheid pour LIFE – 18 septembre 1950
Margareth Bourke-White couvre les débuts de l’apartheid pour LIFE – 18 septembre 1950

En documentant la guerre de Corée, en 1953, Margaret Bourke-White remarque chez elle les premiers symptômes de la maladie de Parkinson, qu’elle baptise « ma mystérieuse maladie », et se voit contrainte de réduire ses activités. Elle réalise son dernier reportage photo pour LIFE, «Megalopolis», en 1957. Elle se tourne ensuite vers l’écriture et publie son autobiographie intitulée Portrait of Myself en 1963, qui devient rapidement un best-seller. Les photographies de Margaret Bourke-White se trouvent dans de nombreuses collections, de la Bibliothèque du Congrès (Library of Congress – LOC) au Brooklyn Museum, au Museum of Modern Art (MOMA) ainsi qu’à l’International Center of Photography (ICP). Ses longues listes de livres incluent Eyes on Russia, You Have Seen their Faces, North of the Danube, Say! Is This The USA, Shooting the Russian War, Halfway to Freedom: A Study of the New India, et tant d’autres.

« Aucune image n’est pour moi sans importance »
Margaret Bourke-White

En 1951, elle avait demandé au rédacteur en chef de LIFE une autorisation de principe pour pouvoir photographier sur la lune. Margaret Bourke-White meurt, 20 ans plus tard, le 27 août 1971 à Stamford.

Guillaume Pierre LEROY

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