Toni Frissell, photographe de mode et du monde

Antoinette Frissell Bacon, Toni Frissell, est née le 10 mars 1907 à New York. Photographe américaine elle a commencé sa carrière en tant que photographe de mode et photojournaliste succédant ainsi à Frances Benjamin Johnston. Elle démontre la même polyvalence dans son travail de photographe pour Vogue, Harper’s Bazaar et Sports Illustrated et dans sa publication de plusieurs livres illustrés photographiquement, allant de A Child’s Garden of Verses (1944) à The King Ranch, 1939- 1944 (1975).

Jackie Bouvier Kennedy et John F. Kennedy, en tenue de mariage, avec les membres du cortège nuptial - 12 septembre 1953 - Toni Frissell - LOC
Jackie Bouvier Kennedy et John F. Kennedy, en tenue de mariage, avec les membres du cortège nuptial – 12 septembre 1953 – Toni Frissell – LOC

Frissell est reconnue pour son travail assez novateur en tant que photographe de mode. Mais ses talents de portraitiste informelle de personnages célèbres et puissants aux États-Unis et en Europe, notamment Winston Churchill, Eleanor Roosevelt, John F. et Jacqueline Kennedy comptent tout autant. Elle est célèbre pour les photographies de mode qu’elle réalise hors du studio, mettant ainsi l’accent sur la femme active et libre. Elle est également réputée pour ses angles imaginatifs, à la fois sur le plan physique et métaphorique, à partir desquels elle a couvert la plupart de ses sujets.

Une fille de bonne famille

Issue d’une famille d’explorateurs et de chercheurs d’or, petite-fille d’un constructeur du Northern Pacific Railroad et d’un banquier, Toni Frissell est la fille d’un médecin, directeur d’un hôpital de New York. Toni est privilégiée, elle fréquente la très chic Miss Porter’s School dans le Connecticut avant de faire sa première apparition publique dans la haute société lors d’une soirée intitulée « Arabian Nights » qui se déroule dans la maison de ses parents au centre de Manhattan. Les Frissell déménagent ensuite dans un immeuble où le rédacteur en chef de Vanity Fair, Frank Crowninshield, et la rédactrice en chef de Vogue, Edna Chase sont leurs voisins. Toni épouse quelques années plus tard un agent de change formé à Harvard et lui-même issu d’une autre grande famille américaine. Déjà féministe dans l’âme, elle décide de garder son nom de jeune fille.

Une petite porte s’ouvre chez Vogue

En 1930, Chase l’entraîne chez Vogue et lors de sa deuxième semaine au magazine, Toni est chargée de collecter des accessoires pour une séance photo de Cecil Beaton, l’un des grands photographes de la maison. « Sortez et prenez un lustre en cristal, un rideau de fenêtre en dentelle, une paire de chérubins volants en or, un miroir baroque, une grande boule de verre, comme celles que les diseuses de bonne aventure utilisent », lui dit la rédactrice en chef du magazine. « Achetez chez Bloomingdales une couverture matelassé et comme nous approchons de Noël, allez dans un magasin de décorations de Noël et achetez des cheveux d’ange.» Elle trouve un marché aux puces où Beaton était connu par Elmo, un employé de la Nouvelle-Orléans, « qui avait une voix aiguë et connaissait tous les photographes», se souvient Frissell dans un mémoire non publié. « Nous devons faire attention à ne pas lui donner quelque chose qu’il a déjà eu », l’avertit Elmo en songeant à la réaction de Beaton. «Il ne me le pardonnerait jamais ! ».

Sortir des studios

Travailler pour Cecil Beaton inspire Toni. Le photographe en chef de Vogue, Edward Steichen, l’encourage aussi. Quand son frère, Lewis Varick Frissell, explorateur et réalisateur de documentaires toujours très proche de sa sœur, lui propose de lui enseigner la photographie, elle accepte. Le 15 mars 1931, le frère de Toni meurt au cours d’un naufrage au large des côtes du Labrador et leur mère tombe malade. Plutôt que de sombrer dans le désespoir, Toni s’empare d’un appareil photo Rolleiflex que son frère lui avait offert et décide de se distraire en apprenant à le maîtriser. « Pourquoi ne pas prendre des photos à l’extérieur », se souvient-elle avoir pensé. « Combien de jolies filles aimeraient avoir l’air de courir dans ce champ avec les cheveux au vent comme nous le faisions quand nous étions enfants. Pourquoi ne pas faire de la nature et du monde mon studio ? ». A sa demande quelques amies viennent poser dans des endroits tels que Newport, le Country Club de Rhode Island et Bailey’s Beach, où ils ont tous passé quelques étés. Elle écrit à des photographes, demande des conseils et trouve quelqu’un pour développer ses films et tirer ses photos.

Cinq femmes se tiennent la main et s’avancent en août 1935. Toni Frissell / Bibliothèque du Congrès
Cinq femmes se tiennent la main et s’avancent en août 1935. Toni Frissell / Bibliothèque du Congrès

Photographe de mode

À son retour à Manhattan en septembre, Toni perd soudainement son emploi chez Vogue de rédactrice des légendes de photos. Dans l’introduction d’un livre dédié à ses photographies, son ami d’enfance George Plimpton écrit qu’elle est renvoyée pour des fautes d’orthographe. Toni, dans un mémoire non publié, indique que le vrai coupable est la dépression, qui laisse l’éditeur de Vogue, Condé Nast, au bord de la faillite. Mais tandis qu’elle s’apprête à partir, une rédactrice de mode et le directeur artistique de Vogue, le Dr Mehemed Fehmy Agha, un Turc d’origine ukrainienne, regardent ses photos et l’encourage à faire de la photographie. Ils manquent cependant de courage et de conviction, refusant de les acheter et de les publier. Ce n’est qu’après en avoir vendu quelques-unes au magazine de Hearst, Town & Country, que Vogue se décide enfin à lui proposer un travail en tant que photographe.

Un mannequin pose dans une robe du soir sur les marches du Jefferson Memorial avec le « Washington Monument » en arrière-plan en juillet 1952. Toni Frissell / Bibliothèque du Congrès
Un mannequin pose dans une robe du soir sur les marches du Jefferson Memorial avec le « Washington Monument » en arrière-plan en juillet 1952. Toni Frissell / Bibliothèque du Congrès

A travers le monde

Elle commence par essayer de travailler dans le studio de Vogue, en utilisant un appareil photo grand format. C’est ce que font habituellement les photographes de mode. Mais elle opte très vite pour les appareils au format 24×36. Un format qui correspondent mieux à sa manière de photographier et lui permet surtout de s’échapper des studios. Vogue commence alors à publier ses images qu’elle prend partout dans le monde.

L’artiste Frida Kahlo se tient à côté d’une plante d’agave lors d’une séance photo pour le magazine Vogue, «Senoras of Mexico», en 1937. Toni Frissell / Bibliothèque du Congrès
L’artiste Frida Kahlo se tient à côté d’une plante d’agave lors d’une séance photo pour le magazine Vogue, «Senoras of Mexico», en 1937. Toni Frissell / Bibliothèque du Congrès

Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle est photographe officielle de la Croix-Rouge américaine et du Women’s Army Corps du US Office of War Information. Elle a fait le tour de l’Europe en tant que photographe pour le quinzième escadron de l’Armée de l’air américaine. Elle a photographié des soldats et des civils touchés par la guerre. Dans une célèbre série elle met en vedette les aviateurs afro-américains « the Tuskegee Airmen » sur la base aérienne de Ramitelli en Italie. De 1941 à 1950, elle travaille pour Harper’s Bazaar. Mais son expérience de reporter de guerre la pousse vers le photojournalisme, et elle se détourne de la mode après 1950.

Garçon abandonné tenant un animal en peluche au milieu des ruines à la suite du bombardement aérien allemand de Londres en 1945. Toni Frissell / Bibliothèque du Congrès
Garçon abandonné tenant un animal en peluche au milieu des ruines à la suite du bombardement aérien allemand de Londres en 1945. Toni Frissell / Bibliothèque du Congrès

Voici des visages que j’ai trouvés mémorables. S’ils ne sont pas tous aussi heureux que les rois, c’est que dans ce monde imparfait et en ces temps dangereux, l’œil de l’appareil photo, comme l’œil d’un enfant, voit souvent la vérité.
Toni Frissell

L’ordinaire extraordinaire

Ces pérégrinations en Europe semblent avoir influencé son art. L’une de ses photographies les plus mémorables est publiée en 1941 dans une série d’articles intitulée « La beauté et les éléments ». Réalisée en 1939 dans le bassin des dauphins au Marineland de St. Augustine, en Floride, cette photo présente une femme vêtue d’une longue robe blanche, suspendue dans l’eau, flottante comme une danseuse dans les airs. C’est une œuvre onirique, une vision surréaliste et extatique.

Modèle dans le bassin des dauphins, Marineland de St Augustine, en Floride, en 1939. Toni Frissell / Bibliothèque du Congrès
Modèle dans le bassin des dauphins, Marineland de St Augustine, en Floride, en 1939. Toni Frissell / Bibliothèque du Congrès

Jusqu’en 1967, Toni Frissell va poursuivre sa carrière en photographiant des personnalités célèbres tout en continuant de photographier des personnes ordinaires. Toujours sensible aux femmes actives et au sport, elle est la première femme à intégrer l’équipe de Sports Illustrated en 1953. Elle continue ainsi à être l’une des très rares femmes photographes de sports pendant plusieurs décennies. Dans ses travaux ultérieurs, elle se concentre sur la photographie des femmes de tous horizons, cherchant à documenter leur condition humaine.

Elizabeth Taylor, dans les bras de son mari Eddie Fisher. Entre 1958 et 1964. Toni Frissell / Bibliothèque du Congrès
Elizabeth Taylor, dans les bras de son mari Eddie Fisher. Entre 1958 et 1964. Toni Frissell / Bibliothèque du Congrès

Une énorme collection

Elle amasse ainsi une vaste collection de quelque 340 000 images. En 1971, elle fait don de ses photographies à la Bibliothèque du Congrès (Library of Congress – LOC – USA). Cela lui permet de préserver ses images et de les placer gracieusement à la disposition de tous. Elle sélectionnera elle-même 1800 de ses meilleures photographies qui seront présentées par la LOC (LOT 12452).

Toni Frissell meurt de la maladie d’Alzheimer le 17 avril 1988 dans une maison de soins infirmiers de Long Island.

Guillaume Pierre LEROY