Plus de 40 ans d’amitié, les copains du cyclo roulent ensemble, souffrent ensemble, crèvent ensemble et franchissent les lignes d’arrivées en se serrant les coudes. L’amour du vélo chevillé au corps et à l’âme, ils ont parcouru bien des kilomètres. Depuis Agny, la petite commune située près d’Arras où fut créé leur club dans les années 80, jusqu’à Paris, Roubaix, la côte d’Opale, la Somme, le Boulonnais, le Valenciennois… Ils ont traversé le Nord et le Pas-de-Calais dans tous les sens et toutes les directions. Et pour certains, les aventures se poursuivaient aux quatre coins de la France, jusque dans les Alpes pour se mesurer aux cols de 1ère catégorie. Plaisir de l’effort, bonheur partagé, ils ont choisi de se dépasser, d’aller plus vite, plus loin, le nez au vent, sous la pluie ou le soleil, été comme hiver, unis face à l’adversité, en peloton sur le plat, « en danseuse » dans les côtes, toujours sur le bon braquet et « à l’eau claire » qui se change en bière une fois la ligne franchie.
Portraits de ces cyclistes qui, au-delà de leur passion commune pour le sport, ses valeurs, et la Petite Reine ont tissé des liens d’amitiés indéfectibles. Au-delà de l’effort, le réconfort, la solidarité le vivre ensemble et des moments inoubliables qu’ils se remémorent autour d’une bière, à la santé de ceux qui roulent encore et de ceux qui se sont échappés.
Michel Cassoret, le « banquier »
Un pur « Niaf » (ainsi se surnomment les habitants de la commune), né à Agny en 1944, qui évoque surtout ses « bons copains du cyclo » avec des trémolos dans la voix qui en disent long sur la sincérité de ses propos. Michel a 80 ans, tout en sensibilité, il raconte, se raconte.
Le vélo pour mieux vivre
« J’ai résisté à tous les métiers, j’étais banquier, enfin pas banquier, esclave des banquiers. J’ai deux enfants, Grégory né en 1973 et Maude née en 1981. Mon premier vélo c’était pour aller à l’école aux Beaux-Arts à Arras puis au lycée technique, j’avais 15 ans. J’ai exercé différents métiers. J’ai travaillé chez Bracq-Laurent à Achicourt, au garage Unic à Somain, au garage Renault à Sainte Catherine, puis chez Nord Syntex avant de devenir employé de banque. » Michel, comme beaucoup d’enfants de sa génération, découvre la Petite Reine avec le vélo de sa mère. « J’ai rejoint le club cyclo suite à ma rencontre avec Albert, le garagiste de la commune, qui m’a invité à rejoindre l’équipe. Cela m’a permis de sortir d’un divorce compliqué, ça m’a aidé. Mon meilleur souvenir de vélo, c’est d’avoir résisté. Dans le groupe, on s’attendait toujours. Une côte ou une crevaison, nous restions ensemble, pour se soutenir, pour réparer. On ne faisait pas la course entre nous. »
Rien ne l’arrête
Michel s’est cassé la clavicule après une lourde chute dans une descente. Il s’est aussi cassé le fémur lors d’une autre sortie. Lorsque l’un d’entre eux va à la faute, toute l’équipe reste à ses côtés. Il roule encore dès que l’occasion se présente. Avec un grand sourire, il me glisse « tu ne vas pas mettre ça dans La Voix du Nord». Il est modeste Michel et pourtant, il mérite largement son quart d’heure de célébrité.
René Smiejczak, le coiffeur
Né en 1950 à Mazingarbe et installé à Agny depuis 1979, René a coiffé le village pendant 46 ans. Un métier qui lui permettait de connaître tout le monde, ou presque, et d’en savoir beaucoup sur chacun. Marié et père de deux enfants, une fille, née en 1971 et un garçon né en 1972, il commence le vélo très jeune, sur un scooter à pédales, un jouet pour enfants apparu après 1952. « Cela m’a marqué, parce que quand tu es gosse, tu grandis vite et au bout de deux ans mes parents l’ont vendu. Je le regrette encore, d’autant plus lorsque j’en vois chez les antiquaires. A cette époque, nous habitions encore dans les mines, la première maison de mes parents, je devais avoir 4 ou 5 ans. Comme ma mère, je suis né en France. Mon père, lui est né en Allemagne, il était d’origine polonaise. Entre les deux guerres, les migrants polonais partaient de Pologne parce qu’il n’y avait pas de travail pour aller travailler dans les mines en Allemagne, puis en France. Mes grands-parents sont arrivés avec leur charrette en France en 1923. »
7 crevaisons
René n’a que des bons souvenirs à vélo. « Toutes les sorties sont bonnes. Notre première grande sortie, c’était Wasquehal-Bapaume qui n’existe plus. Le simple fait de se retrouver entre copains, de partager cette camaraderie dans le club, c’était super, c’est super. » Son pire souvenir à vélo ? Ses sept crevaisons lors de la même sortie alors que l’équipe participait à la course Lille-Hardelot. « La veille de la course, je remarque que ma roue arrière est voilée. Comme je travaillais, j’ai demandé à mon épouse d’aller me chercher une nouvelle roue que j’ai montée le soir même pour le départ du lendemain. Je n’avais pas remarqué qu’il n’y avait pas de fond de jante sur la roue. Nous sommes partis et j’ai crevé au bout de 30 kilomètres. J’ai changé de chambre à air. Quelques kilomètres plus loin, nouvelle crevaison et j’ai dû refaire l’opération sept fois au total en épuisant le stock de chambres à air des copains. » Finalement, l’un d’entre eux a compris le problème et « après un changement de roue, nous avons pu finir la course. »
On n’oublie pas les copains
Les anecdotes s’enchainent, après tant d’années, les cyclos sont intarissables. René se souviendra longtemps du circuit de la vallée de la Somme. Les organisateurs avaient imprimé deux parcours sur la même feuille. Au moment de l’inscription, il s’arrête sur le verso, qui présente le circuit de l’année précédente, plus long de 70 kilomètres. Et toute l’équipe va le suivre sur 250 kilomètres en lieu et place des 180 prévus avant de rallier l’arrivée où les organisateurs les attendaient toujours. René ne peut s’empêcher de penser à ceux qui se sont échappés. « Lorsque le club a été créé, nous étions une vingtaine. Mais depuis, beaucoup ont disparu. Ils nous ont quitté trop tôt. » A 74 ans, René roule toujours dès qu’il en a l’occasion, avec les copains.
Jean-Claude Rose, le comptable
Originaire de Herly, Jean-Claude, 78 ans, rejoint le club cyclo d’Agny en 1985 après une conversation avec son coiffeur, l’incontournable René, qui lui propose de se joindre à l’équipe. Dans sa jeunesse, il travaillait pour une entreprise textile spécialisée dans le jute qui comptait plus de 1000 salariés répartis dans cinq usines. Lors d’une remise de fonds auprès d’une banque de Saint-Omer, il est reçu par l’un des directeurs qui lui indique que son entreprise est au bord de la faillite. « L’activité s’est poursuivie encore quelques années et tout a fermé. Je suis alors arrivé sur Arras où j’ai travaillé dans un cabinet comptable. Le travail y était exigeant et pénible. Nous faisions bien plus de 45 heures par semaine, toute l’année. Finalement, en 1975, j’ai vu une annonce d’une sucrerie à Boiry-Sainte-Rictrude qui recherchait un comptable et j’y suis resté plus de 40 ans. »
Mais la vie de Jean-Claude ne se limite pas à son travail, il y a la famille.« J’ai deux enfants, deux garçons, l’un a 48 ans et l’autre 44, Christophe et Philippe qui habitent pour l’un à Lyon et l’autre à Amiens. » Un silence, puis Jean-Claude ajoute avec fierté : « et j’ai trois petites filles ».
Ancien footballeur
Son premier vélo, c’était celui de sa mère lorsqu’il était enfant, « un vélo de femme parce que mon premier vélo de course je l’ai acheté en 1974 quand je suis arrivé sur Arras. Mais à cette époque, je ne faisais pas de vélo, je jouais au foot. J’ai joué contre Gérard Houllier dont les parents étaient bouchers à Hucqueliers (ndlr : Gérard Houllier fut entraineur notamment du RC Lens et du PSG lui apportant son premier titre de champion de France). » Jean-Claude se souvient en riant d’avoir joué contre Gérard sur un terrain en pente. « Dans un sens on remontait vraiment le terrain. Dans l’autre on tirait toujours au-dessus des buts. »
Paris-Roubaix et Paris-Cambrai
Son meilleur souvenir ? C’est d’avoir fait Paris-Roubaix. Et de l’arrivée à Roubaix, il garde un souvenir teinté de nostalgie, de tendresse et d’amusement. « A l’entrée du vélodrome, il y avait un monsieur avec une petite timbale qui faisait la quête, j’étais perplexe, c’était Michel Allais (autre cycliste du club). » Son plus mauvais souvenir, qui est aussi un bon souvenir, c’est d’avoir fait Paris-Cambrai. « On partait depuis la tour Eiffel, accompagnés par la gendarmerie jusqu’à la sortie de Paris. Mais j’avais un besoin pressant et j’avais dit aux copains qu’il fallait que je m’arrête au premier café. Mais en ressortant, il n’y avait plus personne. On était à Roissy, je roule, je roule pour rattraper les autres et je parviens à rejoindre un groupe de coureurs. Hélas, ils ne faisaient pas la course, je m’étais trompé de route. J’ai rallongé mon parcours de 40 kilomètres. » Jean-Claude écrase toujours les pédales.
Jean-Marie Leroy, le prof
René lance rigolard « on passe au directeur technique ». Il est vrai que Jean-Marie ne roule plus avec les copains. Des problèmes cardiaques lui interdisent désormais cette pratique qui a pourtant occupé une grande place dans sa vie. « J’ai 84 ans et j’étais prof de SVT, Sciences de la Vie et de la Terre (Au lycée Robespierre d’Arras). J’ai eu deux enfants, deux garçons, et je m’occupais de mes enfants. Je ne faisais plus de vélo. Étant jeune, je roulais beaucoup. A 15 ans, j’avais pédalé seul jusqu’à la mer depuis Loos-en-Gohelle. Mon premier vélo, je l’ai eu à 9 ans pour aller au collège. C’était un vélo de femme, un modèle japonais parce qu’avec la guerre, on ne trouvait plus que cela. Mon père avait un beau vélo avec des roues en bois, dont il ne se servait jamais. Ma mère avait aussi un vélo, elle allait à l’école à vélo (elle était institutrice et directrice d’école à la fosse 7 des mines de Mazingarbe). »
La fondation de l’AL Cyclo
En participant à la fondation de l’Amicale laïque d’Agny, dans les années 80, il rencontre Marcel Descamps et ils vont fonder l’AL Cyclo, le club cycliste de l’Amicale. « Mes garçons avaient grandi et je pouvais me permettre de recommencer à faire du vélo. J’ai racheté un vélo demi-course et j’ai repris la pratique, tout doucement mais sérieusement. » Après la course chacun rentrait chez soi mais les copains se retrouvaient autour de repas joyeux et très festifs. Le club a compté jusqu’à 23 membres, de tous âges et pas uniquement des habitants du village.
« Je n’ai que des bons souvenirs à vélo. Au bout de trois, quatre ans, j’avais retrouvé le rythme et j’ai pu participer au deuxième Paris-Roubaix du club cyclo. Et j’ai récidivé deux ans plus tard mais j’avais changé de vélo pour un modèle plus professionnel avec un cadre Vitus très en vogue à l’époque. Nous étions arrivés tous ensemble sur la piste du vélodrome à Roubaix et tout s’était bien passé. »
Ce qui lui déplaît surtout, la hantise du cycliste, c’est la pluie. « Nous avions fait un Wasquehal-Bapaume sous une pluie battante pendant la moitié de la course et sous le soleil l’autre moitié. A la pause, à mi-parcours, mon cuissard en laine était arrivé à mes chevilles. Nous étions trempés, mais à l’arrivée on était presque secs. C’était un sacré parcours. On a fait aussi Lille-Hardelot à de nombreuses reprises. »
A l’assaut des Alpes
« Le vélo me manque. J’ai aussi beaucoup roulé dans les Alpes avec un copain qui était cycliste (ancien coureur). C’était toujours des longues sorties parce que pour faire le tour d’une montagne, il faut faire au moins 80 kilomètres et grimper de nombreux cols. Je ne suis pas un grimpeur, mais je grimpe quand même. »
à la mémoire de : Marcel Descamps, Daniel Duriez, Albert Delreu, Bernard Acquart, Michel Allais, Jean-Marie Ruffin, Marcel Leprevost…